Script ou cursif... que choisir?

Devrait-on enseigner le cursif (lettres attachées) dès la première année? Voilà une question qui nous est fréquemment posée surtout par les enseignants. Nous tenterons aujourd’hui d’aller un peu plus loin sur cette question et afin de mieux comprendre les impacts d’un choix vs un autre.

Cette question n’est pas uniquement québécoise, partout dans le monde le débat existe. Certains pays ont fait des choix précis, ici le Ministère laisse les écoles choisir. En général, nous enseignons les deux depuis les années 70, est-ce que cela changera bientôt?

L’apprentissage de l’écriture une activité complexe

On pourrait penser que l’intégration du geste d’écriture est simple et ne concerne que les mouvements des doigts. Or, c’est un élément complexe du développement qui comprend plusieurs composantes. Cela nécessite donc plusieurs apprentissages différents pour l’enfant. Citons notamment : le maintien d'une bonne posture, la mémorisation de la bonne forme des lettres, l’espacement entre les mots, la fluidité du geste d’écriture, l’orthographe, etc. (Morin M.-F., Lavoie N. Et Montésinos-Gelet I. 2015).

C’est parce qu’il est complexe que le geste d’écriture s’intègre lentement. Il atteint un bon niveau d’automatisation seulement vers l’âge de 10 ans et se raffine encore à l’adolescence. (Chartrel et Vinter, 2004 ; Feder et Majnemer, 2007). Cette automatisation est importante parce qu’elle évite la double tâche. Un geste d’écriture bien automatisé dégage l’espace cognitif requis pour élaborer le contenu et mettre plus d’attention sur l’orthographe. 

La notion de double tâche est une préoccupation pour de nombreux ergothérapeutes qui interviennent auprès des enfants ayant des défis au niveau de l’écriture. Cela revient également souvent dans la littérature.

Lorsque l’enfant présente un retard au niveau de l’intégration de son geste d’écriture, il doit alors utiliser une plus grande partie de son attention et de son énergie sur le geste moteur comparativement à la moyenne des autres enfants. Il se retrouve alors en situation de double tâche. En première année, cela peut passer inaperçu puisque tous les enfants sont au stade de l’apprentissage moteur. En deuxième année, également, l’apprentissage moteur est encore très présent. C’est d’autant plus vrai si les deux modes, script et cursif, sont enseignés. L’enfant fait un premier apprentissage d’une façon et doit par la suite modifier le geste pour passer au cursif. Bien que l’enfant utilise les apprentissages du script pour le cursif, il a tout de même des gestes nouveaux à intégrer.

Lors de la troisième année, il est généralement considéré que le geste moteur est intégré, mais le processus se raffine donc encore. La plupart des enfants sont suffisamment fluides en écriture pour se concentrer sur la réponse. C’est ici que l’impact de la double tâche commence à se faire sentir davantage. L’enfant qui doit mettre beaucoup d’effort et d’attention sur le geste d’écriture compense en diminuant son effort sur la production d’une réponse. Ce qu’on voit le plus fréquemment, des phrases plus courtes, des réponses moins élaborées. Un enfant qui n’a pas le bagage nécessaire pour retranscrire ses idées aussi vite qu’elles viennent en perdra le fil et il se limitera. Un élève qui a de la difficulté dans le geste moteur pourrait utiliser comme stratégie: de se ralentir pour obtenir une calligraphie plus adéquate. Avec évidemment comme conséquence, une difficulté à compléter le travail, dans le temps alloué. On peut aussi observer une attitude négative face à l’écriture ou la tendance à l’éviter.

L’intégration du geste moteur est donc importante dans l’acquisition de l’écriture dans son sens large. Il n’y a pas de formule magique, pour intégrer un geste moteur, il faut le pratiquer. Or, chaque élève est unique et apprend à son rythme. Certains élèves ont besoin de consacrer davantage de temps à la pratique pour le tracé de certaines lettres. Il est important de s’assurer que les choix pédagogiques des enseignants soient les plus adaptés aux différents besoins et niveaux des élèves pour soutenir leurs apprentissages. (Prud’Homme, Dolbec, Brodeur, Presseau et Martineau, 2005). Actuellement, d’une classe à l’autre, les pratiques varient beaucoup. Les occasions fréquentes et variées de pratiquer l’écriture manuelle sont recommandées. Il est aussi pertinent de changer les contextes ainsi que les médiums. Par exemple, pratiquer les lettres seules et ensuite dans les mots. Le secret de l’acquisition du geste moteur réside dans la pratique, elle est d’une grande importance.

Acquérir un tracé automatique et fluide permettra à l’enfant de mieux utiliser ses ressources cognitives. Ce constat décrit par les chercheurs nous amène à nous interroger le fait d’apprendre deux styles d’écriture impliquant des apprentissages moteurs quelque peu différents. Donc la vraie question pourrait être, est-ce que de faire apprendre deux styles d’écriture ralentie l’automatisation du geste et donc de l’accès plus rapide des enfants au développement de leurs habiletés plus complexes.

Donc script ou cursif?

Les caractéristiques particulières de chacun des 2 types d’écritures entraînent des différences. Notamment, avec l’écriture cursive, les espaces entre les mots tendent à être plus réguliers et les inversions sont moins fréquentes (ex. : b-d). L’écriture script, de son côté, est semblable à celle retrouvée pour la lecture.

Les arguments en faveur de l’écriture script dans le milieu de l’éducation étaient notamment une meilleure corrélation entre l’écriture script et la lettre lue dans les livres et une facilité au niveau de l’intégration du geste moteur.

Pour ce qui est de la correspondance à la lecture, les résultats n’ont pas démontré de différence significative entre les deux groupes (script ou cursif dès la première année). Le fait d’apprendre des allographes différents en lecture ne semble pas avoir d’impact, et même que ce groupe qui a appris le cursif semblait faire un meilleur transfert entre la lecture et l’écriture. Il n’y a pas eu d’impact non plus sur la mémorisation de l’orthographe ni sur la vitesse d’écriture. Sur ce dernier point, ils ont observé que les enfants qui étaient plus rapides en lecture étaient également ceux qui écrivaient le plus de mots. Un autre fait intéressant, c’est qu’ils ont observé que les enfants qui écrivaient le plus de mots en cursif étaient également ceux qui faisaient le moins d’erreurs en orthographe. Pour ces enfants, qui pouvaient écrire beaucoup de mots, on comprend que le geste moteur est bien intégré.

En conclusion

Bref, les évidences scientifiques ne définissent pas d’avantages clairs actuellement permettant de statuer en faveur de l’un ou l’autre des types d’écriture à privilégier en première année. Les études doivent se poursuivre. Cependant, il en ressort que le double apprentissage est à éviter (ex. : apprendre d’abord le script en première année puis ensuite le cursif). Finalement, un geste moteur bien intégré, peu importe s’il est script ou cursif, dégage de l’énergie pour l’orthographe et le contenu des écrits.

En terminant, si un enfant tarde à automatiser son geste d’écriture, une consultation en ergothérapie est à envisager.

À propos des auteures :
Sonya Côté est ergothérapeute depuis 1992. Elle travaille auprès des enfants depuis 20 ans. En plus de son rôle de clinicienne, elle est conférencière pour les enseignants, les professionnels et les éducateurs. Elle est également auteure, sa dernière parution « Favoriser l’attention par des stratégies sensorielles » est un des meilleurs vendeurs de la maison d’édition Chenelière Éducation.
Anne-Caroline Poirier est ergothérapeute depuis 2002 et dédie sa pratique aux enfants depuis ses tout débuts. Elle fait partie de l’équipe du CREDE depuis 2005, le point de services du Groupe Ergo Ressources à Québec.

À propos de nous : Le Groupe Ergo Ressources est un regroupement de 11 cliniques présentes dans la grande région de Montréal et la Capitale nationale. Nous desservons les enfants depuis 20 ans maintenant.

Références :
  • https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/801863/ecriture-cursive-script-choix-ecole-quebec-sherbrooke
  • https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1055352/pertinence-apprentissage-ecriture-manuscrite-ere-techno
  • Longchamp, M., Zebato-Poudo, M.T. et Velay, J.L. (2005) The influence of writing practice on letter recognition in preschool children : A comparaison between handwriting and typing
  • Kiefer,M., Schuler, S., Mayer,C., Trumpp,N., Hille,K., and Sachse, S., (2015) Handwriting or Typewriting? The Influence of Pen- or Keyboard-Based Writing Training on Reading and Writing Performance in Preschool Children, advance in cognitive psychology.
  • Hannaford, C. (2005). Smart moves; Why Learning Is Not All In Your Head, Salt Lake City: Great River Books.
  • Morin M.-F., Lavoie N. Et Montésinos-Gelet I. 2015, Le geste graphique chez le scripteur au début de l’école primaire : profil des pratiques pédagogiques et des performances des élèves, Repères, 52, 177-197.
  • MORIN M.-F., LAVOIE N. et MONTÉSINOS-GELET I. (2012). « The effects of manuscript, cursive or manuscript/cursive styles on writing development in grade 2 ». Language and literacy, n° 14 (1), p. 110-124.
  • DOI : 10.20360/G21S3V
  • Chartrel E. et Vinter A. (2004). « L’écriture : une activité longue et complexe à acquérir ». A.N.A.E., n° 78, p. 174-180.
  • LAVOIE N. et MORIN M-F. Une approche pédagogique pour travailler les compétences graphomotrices en écriture au premier cycle du primaire, rapport de recherche Université du Québec à Rimouski.
  • https://lectureecriture.ca (Chaire de recherche sur l’apprentissage de la lecture et de l’écriture chez le jeune enfant)
  • https://naitreetgrandir.com

Psitt! Certains de vos élèves manquent de fluidité avec leur crayon? Inversent fréquemment des lettres ou des chiffres? Sont significativement plus lents que les autres en écriture? Nos ergothérapeutes peuvent les aider!
Article de 2015

Commentaires

Messages les plus consultés